Rencontre littéraire avec Mario Vargas Llosa « Paris, Flaubert et le Scribouillard » [es]

Lors d’une rencontre avec Marie-Madeleine Rigopoulos, le Prix Nobel de littérature et tout nouveau membre de l’Académie française, Mario Vargas Llosa, a évoqué l’influence sur son oeuvre des lettres françaises, en particulier celles du XIXème siècle, ainsi que l’influence de la figure de Flaubert.

JPEG

L’écrivain et lauréat du prix Nobel de littérature, Mario Vargas Llosa, a participé à la rencontre littéraire "Paris, Flaubert et le Scribouillard" organisée le mardi 13 décembre 2022 à l’Institut français de Madrid. Il s’est entretenu avec la journaliste franco-grecque Marie-Madeleine Rigopoulos, qui est également directrice artistique du Festival du livre de Paris depuis septembre 2021.

L’ambassadeur, Jean-Michel Casa, a ouvert l’événement : " Nous sommes heureux d’accueillir Mario Vargas Llosa à l’Institut français de Madrid, près d’un an après son élection comme membre de l’Académie française au premier tour de scrutin pour le siège 18, vacant en raison du décès de Michel Serres ".

JPEG

Il a poursuivi : "Votre présence nous honore. (...) Vous avez été le premier lauréat du prix Nobel de l’Académie française depuis François Mauriac, et le premier écrivain étranger à être publié de son vivant dans la prestigieuse bibliothèque de la Pléiade. Vous avez reçu les plus grands prix de la littérature hispanique internationale, le prix Nobel bien sûr, le prix Princesse des Asturies, le prix Cervantes, le prix André Malraux, pour n’en citer que quelques-uns, sans oublier votre qualité de membre de l’Académie royale espagnole (RAE). Vous êtes devenu, avec votre originalité propre, l’un des romanciers du boom latino-américain qui a donné à ce continent sa reconnaissance méritée. Vous êtes un auteur pluriel, tel que l’Académie française le définit". "Vous devez beaucoup à d’autres grands écrivains, de Cervantès à Camus, qui vous ont fait découvrir les règles et les arts du métier, mais aussi l’âme humaine, sa grandeur et ses abîmes. Deux écrivains semblent être des modèles littéraires fondamentaux : Faulkner, pour son approche multi-perspective et sa polyphonie, et bien sûr Flaubert qui nous réunit aujourd’hui pour sa conception du réalisme et la structuration du récit", a-t-il conclu.

JPEG

Marie-Madeleine Rigopoulos a animé la conversation avec Mario Vargas Llosa. Elle lui a demandé ce qui le lie à la France, à la littérature et à ce territoire universel. "Personne ne mérite mieux que vous le titre de citoyen du monde. Vous êtes un écrivain français par alliance. J’aimerais remonter dans le temps, avant que vous ne veniez vous installer à Paris à l’âge de 22 ans. Quand avez-vous pris conscience du pouvoir de la littérature, du pouvoir de la lecture ? Très jeune, vous avez eu ce coup de foudre intérieur, cet engouement pour le pouvoir de la littérature : quand avez-vous réalisé que la littérature allait changer le cours de votre vie ?"

Mario Vargas Llosa a expliqué : "J’étais Péruvien. À cette époque, le Pérou était un petit pays, il n’y avait pas de maisons d’édition. Il y avait des librairies, mais peu, et d’autre part, nous nous demandions pourquoi devenir écrivain dans un pays comme le Pérou ? C’était difficile. J’étais très excité par ma vocation littéraire, mais le pays n’encourageait pas ces idées. J’avais donc beaucoup de doutes, mais ce que je savais, c’est que ce serait différent à Paris. J’avais obtenu une bourse pour faire un doctorat à Madrid, mais à la fin de l’année, je suis allé directement à Paris. Le jour même de mon arrivée, dans le Quartier latin, j’ai trouvé une librairie ouverte jusqu’à minuit, La joie de lire, et j’ai acheté un exemplaire de Madame Bovary. Je l’ai lu et j’ai été complètement choqué. J’ai découvert, à travers Flaubert, la grande littérature, la révolution littéraire, et j’ai passé toute la nuit à lire ce livre exceptionnel qui, pour moi, a eu un effet extraordinaire. Il m’a convaincu que la littérature était la profession idéale pour un jeune homme comme moi à l’époque et que, grâce à elle, on pouvait changer sa vie. La découverte de Flaubert a été extraordinaire. Il m’a convaincu que la littérature était un métier responsable. Ce que j’ai découvert plus tard, c’est que Flaubert n’avait pas beaucoup de facilités avec sa famille ; son père ne croyait pas qu’il pouvait se consacrer entièrement à la littérature. Il n’aimait pas cette idée."

"La littérature est un acte de rébellion", a affirmé Marie-Madeleine, "Vos parents n’aimaient pas non plus l’idée que vous puissiez vous intéresser à la poésie. Ils y voyaient une activité malsaine. Mais c’est lorsque vous étiez à l’académie militaire que vous avez développé l’écriture, le goût de la transgression. "

"Flaubert s’était inventé une maladie pour mettre son père dans une situation extrême et faire en sorte qu’il n’ait d’autre choix que de l’aider", poursuit Mario Vargas Llosa. "Il y a un débat ouvert entre les médecins et les critiques littéraires sur la maladie de Flaubert. Je pense qu’il l’a inventée. C’est une maladie mystérieuse, il était à la campagne, seul, et soudain il s’est évanoui. Et il a vu comme des montagnes de feu, et il s’est réveillé soudainement et les montagnes de feu étaient toujours là. Il a eu très peur et est allé voir son père. Son père, qui était médecin, l’a pris pour un fou et a décidé qu’une profession libérale n’était pas faite pour son fils. Il a laissé son fils dans la maison de campagne et pendant 5 ans, Flaubert a travaillé 12 heures par jour pour écrire Madame Bovary. C’est le livre qui a changé la littérature, non seulement en France mais aussi en Europe et dans le monde entier. Et ce, non seulement en raison de l’écriture très soignée, très exacte, que l’on ne trouvait pas dans la littérature de l’époque, mais aussi parce qu’il a inventé un narrateur. Je pense que c’est la grande invention de Flaubert. Il a découvert que le narrateur pouvait être invisible, disparaître et être comme une vision avec des yeux qui regardaient une scène et n’exerçaient aucune contrainte sur le personnage. Il regardait simplement le personnage d’une manière libre. Le narrateur, dans ces conditions, c’est la première fois qu’il apparaît dans la littérature".

"J’étais très confus quant à ma vocation", a-t-il souligné. "Étant Péruvien, je savais que mes livres ne pouvaient pas atteindre le même public qu’un écrivain français ou anglais, mais la lecture de Madame Bovary m’a convaincu que la littérature était la meilleure vocation du monde et qu’on pouvait changer la société en écrivant des romans."

La rencontre est disponible en streaming en suivant ce lien.

JPEG

En savoir plus sur le site de l’Institut Français

Dernière modification le 16/12/2022

haut de la page